Josep Maria Cañellas – Photographie des Artistes

[Edmond Archdeacon] [Image fixe] / J.M. Canellas [détail retouché].

Le portrait d’Archdeacon

Parmi les documents explicitement attribués à Cañellas conservés à la Bibliothèque nationale de France (BnF), on trouve un portrait photographique que le catalogue a longtemps décrit ainsi :

[Edmond Archdeacon] [Image fixe] / J.M. Canellas
Type(s) de contenu et mode(s) de consultation :
Image fixe : sans médiation
Auteur(s) :
Cañellas, Josep Maria (1856-1902). Photographe
Titre(s) :
[Edmond Archdeacon] [Image fixe] / J.M. Canellas
Publication :
[189.]
Description matérielle :
1 phot.
Note(s) :
Titre ms. au dos de l’épreuve
Sujet(s) :
Archdeacon, Edmond-Sébastien (1864-1906) -- Portraits
Identifiant de la notice :
ark:/12148/cb40587340r
Notice n° :
FRBNF40587340

Ce portrait d’Edmond Archdeacon par Josep Maria Cañellas a été numérisé et peut être consulté sur Gallica.

La photographie est marquée d’un timbre sec de la Société de Géographie de Paris ; elle fait partie du fonds de cette institution qui a été versé à la BnF1.

Dans le dernier quart du XIXe s. la Société de Géographie invite ses membres à lui envoyer leur portrait pour « l’album des géographes et voyageurs » qu’elle entend constituer. Pour ce faire, elle appointe même un photographe officiel, Alexandre Quinet (1836-1900), les membres restant toutefois libres de recourir aux services du photographe de leur choix2. En tant que membre de ladite Société, Edmond Archdeacon se sera naturellement plié à la consigne.

D’un entretien avec le service de documentation de la Société de Géographie, il ressort, d’une part, que la Société a en effet bien compté parmi ses membres un Edmond Archdeacon, admis en 18823, d’autre part, que le portrait d’Archdeacon n’a pas été exécuté à l’initiative de l’institution et qu’il s’agit très-certainement d’une commande effectuée par Archdeacon auprès de Cañellas et dont il aura ensuite adressé un tirage à la Société de Géographie.

Au verso de la photographie, ou plutôt du carton sur lequel est contrecollée la photographie, on trouve tamponnés le nom et l’adresse du photographe : « J. M. Cañellas » et « 65, rue des Abbesses, Paris ».

Détail du verso du portrait d’Edmond Archdeacon

Pour mémoire, Cañellas a installé son studio au 65, rue des Abbesses vers la mi-1894. Il s’y maintiendra jusqu’à la fin de l’année 1897.

Le portrait d’Archdeacon est le seul de la collection de la Société de Géographie qui soit signé de Cañellas. On peut en déduire que ce dernier n’entretenait pas de relation particulière avec l’institution et qu’il n’était peut-être pas même informé de l’utilisation qui serait faite du portrait qu’il réalisait.

Mais telle n’est pas la question que je voudrais soulever ici. Deux autres vont nous intéresser dans ce qui suit :

  • Qui est l’Edmond Archdeacon portraituré sur cette photographie ?
  • Au-delà de l’exécution ponctuelle du portrait, y eut-il une relation particulière entre Archdeacon et Cañellas et, si oui, sur quelles bases ?

Edmond ? Quel Edmond ?

En répertoriant cette photographie dans la base Photographie des Artistes (ici), j’ai émis quelques doutes sur le référencement opéré par la BnF quant au sujet retenu pour décrire la photographie : Archdeacon, Edmond-Sébastien (1864-1906).

Le choix de la clé d’indexation par la BnF se fonde vraisemblablement sur la mention manuscrite qu’on trouve au dos de la photographie et qui précise : Mr. Edmond Archdeacon (elle est du reste reprise dans le titre donné par la BnF au document).

Détail du verso du portrait d’Edmond Archdeacon

Mais c’est qu’il y a Edmond et Edmond.

Edmond est un prénom porté par quasiment tous les mâles de la branche de la famille dont est issu Edmond Sébastien Archdeacon.

Aparté

Edmond Sébastien Archdeacon (1864-1906) a pour :

  • père — Edmond Alexandre (1822-1895),
  • grand-père — Sébastien Marie (1793-1871),
  • arrière-grand-père — Edmond Jean Pierre (1750-1830),
  • arrière-arrière-grand-père — Edmond (1713-1753).

Les Archdeacon (ou Arsdekin en Irlande, parfois orthographié Archédéacon dans les annuaires ou les actes d’état-civil ; archdeacon signifie archidiacre [selon Wikipédia, on prononce arʃdek ; selon Le Fêtard, feuille humoristique des années 1900, on prononce Erchdiconn]) sont une très ancienne famille, originaire de Cornouailles, puis d’Irlande, dont une branche s’est installée en France au commencement du XVIIIe s. et y a prospéré de manière spectaculaire, dans le négoce puis dans la finance. On y est agent de change de père en fils. Ou alors président de telle ou telle chambre de commerce. On est propriétaire d’immeubles à Paris et de domaines en province. On s’affiche comme rentier dans les annuaires. On se marie avec des égaux, notamment dans la magistrature et la rente foncière4.

Edmond Sébastien, pour parler de lui, naît au domicile de ses parents, à l’adresse prestigieuse du № 15 des Champs-Elysées, dans ce qui fut l’hôtel du duc de Morny. Il y élira lui-même domicile à l’âge adulte. Son épouse y donnera des réceptions fastueuses, ai-je lu5.

Edmond Sébastien Archdeacon (1864-1906) — dont la BnF dit qu’il est l’homme portraituré par Cañellas — fut un exemplaire fils de famille — l’unique et dernier de sa lignée — et à ce titre un opulent (et prodigue) rentier. Homme politique au tournant du siècle, député de la Seine notamment, il était antisémite, antidreyfusard, antirépublicain — mais nous n’en débattrons pas ici. Il fut avant tout un grand amateur de chevaux et de courses ; c’est là en revanche un point qui peut nous intéresser6.

À la génération précédente, on trouve donc son père, Edmond Alexandre Archdeacon (1822-1895), polytechnicien et agent de change. Ce dernier a peut-être laissé moins de traces que son fils dans la documentation de l’époque, mais il m’apparaît un candidat plus sérieux pour le portrait dont nous parlons ici7.

En termes de dates en effet, il semble très-peu probable que le membre de la Société de Géographie ait pu être Edmond Sébastien. En avril 1882, celui-ci n’a pas encore 18 ans et je doute fort que ladite Société ait admis comme membre un jeune homme sans expérience particulière, si fortuné fût-il. De même, je doute fort qu’il ait pu être désigné dès cet âge précoce agent de change honoraire, même si les carrières des Archdeacon dans cette profession semblent avoir été très écourtées.

En revanche, son père, Edmond Alexandre, me paraît pleinement satisfaire aux critères : en avril 1882, ce dernier a soixante ans, il est ancien élève de l’X, il est membre d’autres sociétés savantes et il est répertorié comme agent de change honoraire dans les annuaires.

Et puis il y a le physique de la personne portraiturée.

Car, à parler de portrait, la première remarque à formuler, c’est qu’il s’agit — sauf grave erreur de ma part — non pas d’un portrait photographique mais de la reproduction photographique d’un portrait peint. Or, nous savons que Cañellas a eu longtemps une activité de reproducteur d’œuvres d’art, et notamment de tableaux (par exemple pour le compte de son compatriote Santiago Rusiñol). Sa réputation aura pu parvenir aux oreilles de la famille Archdeacon.

Si l’on rapproche le portrait d’Edmond Sébastien reproduit dans l’article de La Vie au grand air cité en note ci-dessus (et reproduit à gauche ci-dessous) du portrait peint photographié par Cañellas (à droite ci-dessous), on aura du mal à mon sens à se convaincre qu’il s’agit du même homme.

Portrait d’Edmond Sébastien Archdeacon (in La Vie au grand air)
Portrait d’Edmond Alexandre Archdeacon (à confirmer)

Je ne parle même pas de l’opposition entre la moustache plutôt légitimiste d’Edmond Sébastien et l’hommage pileux à François-Joseph du portrait de Cañellas : de façon plus probante, ce sont les formes des deux visages qui diffèrent de manière prononcée8.

Ajoutons à cela que le portrait par Cañellas date au plus tard de 1897 car celui-ci quitte alors son studio de la rue des Abbesses. (Par ailleurs, je crois le portrait peint bien antérieur à cette date.)

Or, en 1897, Edmond Sébastien a tout au plus 33 ans et il ne me semble pas reconnaître dans ce portrait un jeune trentenaire (ou moins) ; j’y vois plutôt un homme mûr, solidement assis dans la vie, conscient de son importance et soucieux de la nécessité d’un portrait pour le faire savoir.

Alors, quel Edmond ? — Au vu des éléments qui précèdent, il me semble raisonnable d’avancer que la personne du portrait peint photographié par Cañellas est Edmond Alexandre Archdeacon, et non pas Edmond Sébastien, son fils. Et de suggérer que la vedette-matière du champ sujet dans la notice de la BnF soit libellée : Archdeacon, Edmond Alexandre (1822-1895) -- Portraits.

Septembre 2024 — Suite à la présente enquête et avec l’appui de la Société de Géographie, la BnF a révisé la notice relative à ce portrait. Dans son catalogue, Edmond Archdeacon est désormais bien identifié comme Edmond Alexandre Archdeacon.

Reste à tenter de comprendre comment Archdeacon en est venu à appeler Cañellas pour la réalisation de ce portrait.

Archdeacon & Cañellas

De fait, pourquoi commander ce travail à Cañellas plutôt qu’à un autre photographe ?

À première vue, rien ne semble favoriser la rencontre des deux hommes : ils n’évoluent pas dans le même monde. D’un côté, le grand bourgeois fortuné installé au bas des Champs-Élysées, de l’autre, le photographe catalan de la butte Montmartre, très lié au monde des artistes du cru et particulièrement des femmes animant les soirées du boulevard9. La pratique professionnelle de Cañellas — largement consacrée à la photographie de nu — ne le mettait pas immédiatement sur le radar d’un membre de la Société de Géographie en demande d’un portrait d’apparat.

De ce qu’on sait, Cañellas n’était pas un portraitiste de célébrités ou de gens du monde, comme pouvaient l’être Paul Boyer, Nadar, Otto Wegener ou les Reutlinger, par exemple. Ce n’était pas non plus un photographe de tout premier plan dans le paysage parisien de cette fin de siècle — même s’il est délicat d’apprécier aujourd’hui sa notoriété d’alors (il fut tout de même sélectionné et médaillé de bronze à l’Exposition universelle de 1900).

Quand par exemple Sébastien Marie Archdeacon (1793-1871), le père d’Edmond Alexandre, se fait tirer le portrait (en 1864), c’est par l’un des plus éminents photographes spécialisés dans le portrait sérieux, à savoir Pierre Petit. Il est vrai que c’était au titre de membre du Conseil Municipal de la ville de Paris et de la Commission départementale de la Seine et que le choix du photographe n’était sans doute pas de son fait. Toujours est-il que les Archdeacon avaient cette solide référence dans leurs carnets.

Portrait de Sébastien Marie Archdeacon par Pierre Petit (1864)
Portrait de Sébastien Marie Archdeacon par Pierre Petit (1864)10.
Source : Musée Carnavalet.

Quoi qu’il en soit, c’est bien Cañellas qui signe le portrait d’Edmond Archdeacon. C’est bien à lui qu’on fait appel.

Deux éléments sont à garder en tête concernant ce portrait. D’une part, il est daté de la période « Abbesses » de Cañellas, soit les années 1894-1897 (évidemment, le négatif original pourrait avoir été réalisé antérieurement) ; d’autre part, détail tout de même intriguant, il ne s’agit pas d’un portrait au vif de M. Archdeacon, mais de la reproduction d’un portrait peint existant.

Relevons à ce propos qu’Edmond Alexandre Archdeacon décède le 29 janvier 1895, justement à l’époque où Cañellas est actif rue des Abbesses. La corrélation n’est peut-être pas fortuite, même si je ne parviens pas encore à en tirer des conclusions claires.

On ne connaît pas la date d’entrée du portrait dans la collection de la Société de Géographie. A priori, on peut penser qu’il aura été versé du vivant d’Archdeacon, à son initiative. Si tel fut le cas, l’opération aurait donc eu lieu au second semestre de l’année 1894 (date d’installation de Cañellas rue des Abbesses) : Cañellas traite directement avec Archdeacon, se rend chez lui, prend en photo le tableau, réalise un ou plusieurs tirages dans son studio qu’il remet à Archdeacon lequel en fait porter un exemplaire à la Société.

Soit. Mais alors pourquoi photographier le portrait peint plutôt que la personne elle-même ? Je ne me l’explique pas.

Si toutefois la photographie a été envoyée post mortem — par exemple, pour répondre tardivement à la requête de la Société ou simplement lui signaler le décès d’Archdeacon —, la fenêtre des dates s’en trouve sensiblement élargie. Et on comprendrait mieux l’utilisation d’une reproduction d’un portrait peint : plutôt que de photographier Archdeacon sur son lit de mort (ou faute de l’avoir fait), on fait réaliser un portrait photographique en exploitant un portrait peint réalisé quelques années auparavant. Il s’agirait alors d’une initiative d’un autre membre de la famille, par exemple la veuve du défunt, ou son fils, Edmond Sébastien.

Bien entendu, maintes autres explications peuvent être envisagées ; mais je manque d’éléments. Peut-être la descendance contemporaine d’Edmond Alexandre serait-elle à même d’éclairer ma lanterne, mais je n’ai pas encore mes entrées dans la famille…

Reste qu’il paraît étonnant qu’aucun portrait photographique d’Edmond Alexandre Archdeacon n’ait été exécuté de son vivant qui eût pu être adressé à la Société de Géographie. Peut-être était-il hostile à la photographie ? Ou alors insatisfait de l’image que lui renvoyaient les possibles portraits photographiques réalisés jusqu’alors ?

Pour en revenir aux conditions qui auraient pu mettre en relation Cañellas et les Archdeacon, deux ou trois suggestions me viennent à l’esprit :

  • une (relative) proximité géographique entre les studios de Cañellas et certaines propriétés des Archdeacon ;
  • une passion commune pour les chevaux et les courses hippiques ;
  • l’intervention d’un intercesseur bienveillant.

Rien de vraiment solide, mais peut-être, malgré tout, de quoi contribuer à la description de cette atmosphère dans laquelle baignait Cañellas et que j’évoquais dans un précédent billet.

Les Archdeaon dans le bas Montmartre

La qualité de rentier dont se prévalent de nombreux Archdeacon tient certainement à des valeurs mobilières très substantielles, mais plus certainement encore à un vaste patrimoine foncier et immobilier.

On l’a dit, Edmond Alexandre Archdeacon était propriétaire d’un hôtel aux Champs-Élysées, dont héritera son fils Edmond Sébatien. Ce dernier possèdait également un domaine dans l’Yonne servant de haras à son écurie de courses. De son côté, Sébastien Marie Archdeacon avait racheté en 1853 (pour 517 700 francs !) l’important immeuble de la rue d’Anjou où décéda le général La Fayette et dans l’appartement duquel il s’installa.

Par ailleurs, à l’occasion d’une petite étude sur les commerces de la rue Laferrière, j’ai découvert que les Archdeacon étaient propriétaires d’un vaste ensemble de parcelles situées entre cette rue et celle des Martyrs11. Selon les informations consignées dans l’annuaire Paris-adresses, en 1896-1897, la famille possédait, en propre, par mariage ou par héritage, les immeubles des 6, 6 bis, 10 et 12 de la rue Laferrière — à cette dernière adresse naquit en 1842 Stéphane Mallarmé — ainsi que les immeubles des 19, 23, 25, 27 et 29 de la rue des Martyrs, le tout formant un ensemble très conséquent de propriétés contiguës.

Propriétés de la famille Archdeacon sur les rues Laferrière et des Martyrs
Propriétés des familles Archdeacon et Gaillard sur les rues Laferrière et des Martyrs.
Plan : Archives de Paris, plan 33e quartier, Saint-Georges, 38e feuille, 1/500, PP/11948/D.

Cet ensemble de propriété est demeuré dans la famille Archdeacon-Gaillard jusque dans les années 1930, et peut-être même au-delà.

Il a été photographié par Charles Lansiaux en février 1920, qui en offre un bon aperçu (l’espace alors dévolu aux jardins fait rêver : il n’en reste presque rien ajourd’hui).

Deux vues de Charles Lansiaux en 1920 sur les propriétés de la famille Archdeacon
Deux vues de Charles Lansiaux en 1920 sur les propriétés de la famille Archdeacon.
Source : Musée Carnavalet.

C’est dans ces lieux qu’Ernest Archdeacon, le neveu aviateur d’Edmond Alexandre, vit le jour le 28 mars 1863, son acte de naissance précisant qu’il est « né […] chez ses père et mère passage Laferrière № 6 ». Les témoins à la naissance sont ses grand-père et oncle maternels, François Gaillard et Paul Gaillard, également domiciliés à cette même adresse.

Cette branche des Archdeacon quitte l’hôtel du passage Laferrière quelques années plus tard, vraisemblablement juste avant le Siège et la Commune de Paris — dont ils n’étaient sans doute pas les plus ardents partisans12. L’hôtel sera mis en location — au décès de François Gaillard, j’imagine. On comptera ainsi parmi les locataires une certaine baronne de Christensen, qui le quitte en décembre 1893 et met en vente à cette occasion l’ensemble de son fastueux mobilier13.

Cañellas, lui, officie depuis son arrivée à Paris non loin de cet ensemble d’immeubles. Les trois studios qu’il occupe successivement au pied de la butte Montmartre sont à proximité immédiate de la rue des Martyrs (je renvoie ici au billet sur Josep Maria Cañellas à la Villa des Platanes).

Je le crois volontiers familier du quartier. C’est indéniable au vu de sa production d’instantanés de rue. Armé de sa chambre portative — qu’il semble souvent porter à hauteur du ventre ; était-ce pour la dissimuler au regard des passants ? —, il arpente les voies à proximité de ses studios (le boulevard, le Haut et le Bas-Montmartre) et saisit à l’occasion des scènes de la vie ordinaire.

On connaît plusieurs instantanés de rue pris par Cañellas dans le quartier, peut-être même dès les années 1880.

JMC 602
JMC 602 (rue Lamartine)
JMC 290
JMC 290 (Notre-Dame de Lorette)

Peut-être s’agit-il pour lui d’expérimenter dans ces rues, en conditions réelles, des techniques ou des procédés de son cru ?

Mais peut-être aussi se rend-il dans le quartier à d’autres fins, appâté par sa réputation solidement établie de red light district. Par exemple, pour recruter ses modèles féminins en vue de « poses d’ensemble » ; ou encore pour faire affaire avec certaines « maisons » désireuses de se constituer des books de leurs pensionnaires14 ?

Coïncidence encore, c’est toujours dans ce quartier, au № 3 bis de la rue La Bruyère, que la Librairie artistique installe ses bureaux et co-édite en 1903 ou 1904 — avec la toute jeune librairie Albin Michel — Le Nu d’après nature, I. La Femme, entièrement illustré de reproductions de photographies de Cañellas15.

Alors, est-ce au cours de ses pérégrinations dans le quartier que Cañellas aura fait la connaissance des Archdeacon ou des Gaillard ?

Peut-être, mais je n’y crois pas trop. Peut-être s’y seront-ils retrouvés, à telle ou telle occasion — mais après avoir fait connaissance dans d’autres circonstances.

Et ces autres circonstances ont peut-être eu trait à un intérêt partagé pour le monde hippique.

Les chevaux et les courses hippiques

Cañellas a en effet beaucoup photographié les chevaux. On en trouve des exemples dès les débuts de sa production.

JMC 332
JMC 332

Note — Cette photographie non datée relève d’une série (numéros JMC 300 à 399) où apparaissent systématiquement des chevaux16. A-t-elle été prise à Paris même, dans les jardins d’un hôtel particulier ? Auprès d’un champ de courses ? Ou alors dans un domaine en province ? On ne sait pas.

Il existe en particulier tout un ensemble de photographies prises à Longchamp, le célèbre champ de courses qui faisait se déplacer tous les dimanches de la saison la fine fleur du grand monde parisien.

De manière un peu paradoxale, les vues qu’on connaît ne s’intéressent pas aux chevaux ni au déroulement des épreuves ; elles se concentrent sur le public des courses. Encore le font-elles sur un mode caractéristique de Cañellas : en immersion avec le sujet mais à la dérobée, sans pose ni mise en scène. Dans ces instantanés à Longchamp, rien de plus éloigné des démarches très travaillées — en toute connivence avec les sujets — qui seront celles, plus tard, des frères Séeberger ou de Lartigue, par exemple.

Évidemment, comme pour les passants sur les Champs-Élysées, la question surgit aussitôt : qui donc sont ces personnes que Cañellas photographie à Longchamp ? Sont-ce des gens qu’il connaît ? Des personnes connues du grand monde (le high life de l’époque) — et pourrait-on y reconnaître des membres de la famille Archdeacon ? Ou s’agit-il plus prosaïquement de vues prises à l’instinct, au hasard de ses déplacements dans la foule ?

Impossible de répondre, bien entendu.

Dans ses déplacements sur les champs de courses, il ne faut sans doute pas exclure de la part de Cañellas une démarche d’ordre commercial — et des interactions avec les patrons d’écuries de courses… Peut-être venait-il à Longchamp avant tout pour offrir ses services à ces derniers — immortaliser un cheval, son jockey, son entraîneur, son propriétaire17 ?

Car, rappelons-le, Cañellas revendiquait un savoir-faire particulier dans la photographie hippique. Il en fait régulièrement état dans ses encarts publicitaires, comme ceux publiés dans El Correo de París, la revue des hispanophones de Paris :

Encart publicitaire de Cañellas dans El Correo de París, 10 mars 1899.
Encart publicitaire de Cañellas dans El Correo de París, 10 mars 1899. Source Gallica

C’est même un thème sur lequel il semble insister plus particulièrement quand il fait imprimer : « grandes talleres y jardin para fotografia hipica, bicicletas, caballos » (grands ateliers et jardin pour la photographie hippique, les bicyclettes, les chevaux) — deux références à la plus noble conquête de l’homme dans la même accroche !

Si l’on se fie à ces annonces, il semble donc avoir disposé — du moins à l’adresse du 35, avenue de Wagram18 — d’un espace suffisant pour faire évoluer des chevaux (et des bicyclettes). Peut-être même est-ce la disponibilité d’un tel espace qui l’a amené, fin 1897, à installer son studio là plutôt qu’ailleurs ?

Qui donc étaient ses clients demandeurs de portraits hippiques ? Des propriétaires de chevaux, bien entendu — d’attelage, de monte ou de course. À Paris, ce n’était pas n’importe qui. Les Archdeacon en étaient, cela va sans dire.

Sans disposer encore d’éléments pour l’étayer, ce monde des chevaux et des courses me paraît un terrain plus crédible pour la mise en relation — inattendue — de Cañellas et des Archdeacon. Plus crédible que celui de la rencontre inopinée dans le quartier Martyrs-Laferrière.

Ce qui semble indubitable en effet, c’est, d’une part, l’intérêt que porte Cañellas aux chevaux et dont témoignent ses photographies, d’autre part, le fort investissement de divers membres de la famille Archdeacon dans ce même univers. À commencer par Edmond Sébastien, déjà évoqué. Mais également son père, Edmond Alexandre, qui fut tout autant une figure du milieu hippique. Ou encore ses oncles, Jacques et Jules Archdeacon, dont les chevaux concourent régulièrement aux courses, à Paris comme en province.

Et si Cañellas s’était bâti à Paris une certaine réputation dans la photographie équestre, peut-être celle-ci était-elle parvenue aux oreilles des Archdeacon.

Un possible scénario le verrait ainsi commencer par des travaux centrés sur les chevaux que possédait tel ou tel membre de la famille, en ville, à Longchamp ou dans les haras, puis, dans la foulée, son périmètre s’élargirait à la réalisation de travaux photographiques plus variés, et notamment la reproduction du portrait d’Edmond Alexandre évoqué plus haut. J’en viens à rêver d’un album photographique conservé soigneusement chez l’un ou l’autre des héritiers contemporains consignant des portraits de chevaux de la famille signés JMC…

Mais, pour l’heure, tout ceci relève plus du roman que d’autre chose.

Une lettre de recommandation ?

Alors, si ni la proximité géographique à Montmartre ni la passion partagée pour les courses de chevaux ne semblent des motivations réellement décisives pour faire se rencontrer Cañellas et Edmond Alexandre Archdeacon, quelle autre explication imaginer ?

J’ai pensé à la piste d’une recommandation ou d’une suggestion faite à Archdeacon par une personne du même monde.

Et j’ai pensé que Josep Rubaudonadeu i Corcellés (1841-1916) — le richissime mécène à l’initiative de l’album photographique réalisé par Cañellas en Alt Empordà19 — pouvait avoir joué ce rôle d’intermédiaire.

Josep Maria Cañellas : portrait de Josep Rubaudonadeu
Josep Maria Cañellas : portrait de Josep Rubaudonadeu

Ici encore, rien de concret ne vient étayer l’idée ; je l’avance comme une suggestion à explorer.

Rubaudonadeu effectuait des séjours réguliers à Paris. Il avait acheté un hôtel rue Lafayette (№ 56) dont il se servait entre autres comme point de ralliement des hispanophones progressistes de Paris (c’est sans doute par ce canal qu’il fit la connaissance de Cañellas). Il disposait par ailleurs certainement de relations privilégiées dans le grand monde parisien. Peut-être même était-il amateur de courses de chevaux — ou du moins des événements mondains organisés à ces occasions ?

J’avais un temps imaginé que l’important personnage sur la gauche de JMC 3100 (reproduite plus haut) puisse être Rubaudonadeu (voir le billet Un dimanche aux courses (Josep Maria Cañellas à Longchamp)). C’était alors purement gratuit ; mais voilà qui formerait, à la lumière de la présente enquête, une jolie pièce dans le puzzle du réseau de relations parisiennes de Cañellas.

Mais, comme chacun sait, les puzzles regorgent de pièges faits pour nous égarer.

Récapitulatif

J’ai bien conscience que cette digression autour du portrait d’Edmond Alexandre Archdeacon laissera le lecteur un peu sur sa faim. Au moins aurons-nous pu établir quelques faits et avancer quelques suggestions plus ou moins crédibles qu’il faudra un jour consolider ou mettre au rebut.

Tout d’abord, ce portrait est bien celui d’Edmond Alexandre Archdeacon (1822-1895) et non pas celui d’Edmond Sébastien (1864-1906), son fils. Dont acte : la BnF a promptement rectifié.

Ensuite, ce portrait est, dans la collection de la Société de Géographie de Paris, un hapax, un cas isolé : Cañellas n’est pas le photographe des sociétés savantes ; il réalise son travail sans en connaître la destination. Autrement dit, Cañellas reproduit le portrait peint d’Edmond Alexandre sans autre but que de répondre à une commande et sans nécessairement être en relation avec la personne portraiturée (elle était peut-être même déjà décédée).

La dite commande date, selon toute vraisemblance, des « années Abbesses » de Cañellas (1894-1897). À ces dates, Cañellas n’est donc pas un photographe cantonné dans la seule production de nus (même s’il en produit sans doute beaucoup). Cette production de nus — de nos jours l’aspect le plus visible de ses réalisations, on se demande bien pourquoi — masque sans doute les autres pans de son travail de photographe qui devaient l’occuper tout autant, sinon plus, et dont le portrait d’Archdeacon, comme celui des deux garçonnets daté de 1899, sont les témoins.

Que Cañellas reçoive et honore une commande de la part des Archdeacon démontre aussi qu’il parvient à s’introduire dans le grand monde. Ce n’est sans doute pas un mince succès pour le fils d’un modeste marchand de fils de Reus… Sans rien renier de ses origines — rappelons qu’il se marie à la Noël 1898 avec Jeanne Martin, fille d’un carrier de l’Allier —, Cañellas illustre une volonté de « parvenir » toute balzacienne, qui trouvera un autre bel accomplissement avec sa médaille gagnée à l’Exposition universelle de 1900.

De ce point de vue, les conditions dans lesquelles Cañellas et les Archdeacon se sont rencontrés — proximité géographique, passion des chevaux, intercesseur bienveillant… — passent sans doute au second plan. Elles relèvent de l’atmosphère de l’époque ; elles plantent un décor ; elles accompagnent autant qu’elles défient le nouvel arrivant. À mon sens, elles sont plutôt le carburant du véritable moteur de Cañellas qui est son ambition — au sens positif — de réussir à Paris.

Et peut-être sont-elles aussi la signature du Paris de la Belle Époque laissant réussir de pareils ambitieux.

Cañellas profitera brièvement de sa réussite. Il meurt brutalement le jeudi 12 juin 1902 à l’âge de 46 ans.

Ce jour-là, à Auteuil, Edmond Sébastien Archdeacon faisait courir Gilbert dans la grande course de haies et Miltiade dans le prix de Bretagne. Ce fut à fonds perdu : ils terminèrent non classés.

Notes

1

Voir le descriptif de son fonds photographique proposé par la Société de Géographie de Paris et le renvoi à l’exposition organisée en 2007 à la BnF autour de ce fonds.

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2

De fait, de nombreux portraits de « géographes et voyageurs » ont été réalisés par d’autres photographes. Voir à ce sujet le billet publié sur le blog de Gallica « Portraits de géographes et voyageurs ».

N.B. Précision aimablement communiquée par la Société de Géographie.

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3

Comme on peut le voir à la lecture de la liste des membres de la Société de Géographie (Gallica), dans une édition initialement parue en 1885 mais reprise et annotée jusqu’en 1894.

Edmond Archdeacon est admis comme membre le 4 avril 1882 et est donc toujours répertorié comme tel en 1894. Il est référencé comme agent de change honoraire, demeurant avenue des Champs-Élysées, 15.

Edmond Archdeacon listé parmi les membres de la Société de Géographie de Paris

N.B. Autre information aimablement communiquée par la Société de Géographie.

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4

Sur la famille en général, voir la notice (assez imprécise) que lui a consacrée le baron Joseph du Teil : Notice sur la famille Archdeacon en Angleterre, en Irlande, à Douai, à Bruges et à Dunkerque, Dunkerque : impr. de Chiroutre-Gauvry, 1903. Une transcription est disponible sur ce site. On trouve également quantité d’informations sur les sites de généalogie, mais qu’il faut savoir prendre avec un œil critique.

Mentionnons en passant le cousin germain d’Edmond Sébastien, Ernest Archdeacon (1863-1950), tout aussi fortuné que lui mais peut-être un peu plus ouvert sur le monde contemporain et surtout plus enclin à en accompagner les expérimentations techniques : il fut un acteur (et mécène) majeur de l’aviation naissante. J’en reparlerai plus loin.

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5

On pourra lire sur Gallica le compte rendu d’une des réceptions de Mme Archdeacon dans la revue Les Modes : revue mensuelle illustrée des arts décoratifs appliqués à la femme (№ 44, août 1904).

L’hôtel fut démoli dans les années 1950 pour y édifier les bureaux de l’inoubliable magazine Jours de France.

En voici une vue par Charles Lansiaux, vers 1900 selon Carnavalet, soit à l’époque où l’occupaient Edmond Sébastien et son épouse :

Charles Lansiaux - Façade sur rue, Ancien Hôtel du duc de Morny, 15 avenue des Champs-Elysées, 8e arrondt, Paris (vers 1900)
Charles Lansiaux - Façade sur rue, Ancien Hôtel du duc de Morny, 15 avenue des Champs-Elysées.
Source : Musée Carnavalet.
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On lira à ce sujet l’édifiant entretien qu’il accorda à la revue Le Vie au grand air (numéro du 7 juin 1902) : « Comment je suis devenu propriétaire » (Gallica).

Propriétaire d’une écurie de courses, veut-il dire. Propriétaire (foncier), il l’était de naissance.

À son décès, la même revue publiera une nécrologie (Gallica : № 390, 2 mars 1906), retraçant l’historique familial de cette passion pour les chevaux.

Sur la personnalité et la réputation du député Edmond Sébastien, on pourra lire, toujours sur Gallica (gloire leur soit rendue), le portrait (à charge) qu’en fit un certain « Nick » dans La Dépêche du 16 mai 1902.

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Edmond Alexandre fut certes agent de change mais durant tout au plus une vingtaine d’années. En 1865 déjà, il fait mentionner dans l’annuaire « ancien agent de change », mention qui devient « agent de change honoraire » à compter de 1874.

Il suivait en cela l’exemple de son propre père, Sébastien Marie Archdeacon, qui fut lui aussi agent de change et faisait lui aussi afficher la mention « ancien agent de change » dans l’annuaire. Dans l’édition de 1870 du Firmin-Didot (la dernière du Second Empire), le père et le fils affichent ainsi de manière savoureuse des libellés identiques :

Extrait de l’annuaire Firmin-Didot, éd. 1870
Extrait de l’annuaire Firmin-Didot, éd. 1870. Source : Gallica.
(À noter pour plus tard, le Philippe Archdeacon, domicilité au 6, passage Laferrière.)

Dans la famille, les casquettes d’administrateur ou de gérant sont multiples et héréditaires. Ainsi, dans le rapport de l’assemblée générale du 29 mars 1866 de la compagnie d’assurances sur la vie La Nationale, on apprend la démission de l’administrateur Sébastien Marie Archdeacon et la nomination concomitante d’Edmond-Alexandre Archdeacon comme censeur.

Outre la Société de Géographie, Edmond Alexandre fut également membre de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France, ainsi que le relève sa fiche dans l’annuaire prosopographique du Comité des travaux historiques et scientifiques de l’École nationale des chartes.

D’une information trouvée sur Geneanet, il aurait habité (à son décès ?) le № 12 de la rue Taitbout — un hôtel qui avait accueilli en son temps Tourgueniev lors de ses passages à Paris. L’information est sujette à caution : l’hôtel en question fut repris en 1893 par deux associés (Schaap & Kessler, au capital insignifiant de 1000 francs) qui se déclarèrent en faillite quatre ans plus tard. Je doute qu’avec un tel capital Schaap & Kessler aient pu garantir dans leur établissement un niveau de standing conforme au train de vie d’Edmond Alexandre — mais je me trompe peut-être, et peut-être ce niveau de standing a-t-il justement précipité leur faillite.

On trouve bien dans les annuaires un Archdeacon officiant au 12, rue Taitbout, mais c’est en 1842 et il s’agit de Sébastien Marie, le père d’Edmond Alexandre. C’était là de son adresse professionnelle d’agent de change, son domicile étant situé à proximité, au № 1 de la rue Saint-Georges.

Je retiens toutefois l’information pour la (relative) proximité entre cette adresse et celles des rues Laferrière et des Martyrs qui seront évoquées plus loin.

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La même source Geneanet citée à la note précédente apporte ces intéressantes précisions sur la personne d’Edmond Alexandre : « Desc. phys. : Cheveux blonds - Front découvert - Nez petit - Yeux bleus - Bouche petite - Menton rond - Visage ovale - Taille 175 ».

Je ne sais d’où sortent ces informations ; toujours est-il qu’elles ne paraissent pas en contradiction avec ce que nous offre le portrait qui nous occupe ici.

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Rappelons tout de même que, dans ses instantanés de rue, Cañellas ne s’est pas cantonné aux seuls environs de Montmartre. On lui connaît par exemple plusieurs vues du quartier des Champs-Élysées. Et notamment JMC 295, prise au rond-point des Champs-Élysées, où l’on aperçoit sur la gauche, sauf erreur de ma part, l’hôtel des Archdeacon.

JMC 295
JMC 295

Il serait alors tentant de vouloir identifier les personnes au premier plan…

Comme de vouloir identifier ces autres passants sur une autre vue (JMC 297 — le tirage qu’on en connaît est malheureusement très dégradé) que je crois prise juste avant ou juste après la précédente, à peu près au même endroit, toujours sur le même trottoir côté pair, légèrement plus haut sur l’avenue (le croisement qu’on devine au fond à gauche serait celui de la rue du Colisée) :

JMC 297
JMC 297
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J’ai parlé de portrait « sérieux », mais, à bien regarder celui de Sébastien Marie Archdeacon, il n’est pas possible de ne pas penser à l’un des portraits d’Henri Monnier en Monsieur Prudhomme réalisés par Étienne Carjat dix ans plus tard.

Portrait d’Henri Monnier (en Monsieur Prudhomme) par Étienne Carjat (vers 1875). Musée d’Orsay.
Portrait d’Henri Monnier (en Monsieur Prudhomme) par Étienne Carjat (vers 1875). Source : Musée d’Orsay.

On en tirera les conclusions que l’on voudra.

Soit dit en passant et puisque nous l’évoquons, Carjat était certainement bien plus renommé que Cañellas pour les portraits photographiques.

Coïncidences : Carjat officiait au № 10 de la rue Notre-Dame de Lorette, dans le même pâté de maisons que celui des propriétés des Archdeacon-Gaillard rue Laferrière / rue des Martyrs. Et Henri (Henry) Monnier donnera son nom à la rue où se termine la rue Laferrière (anciennement rue Bréda).

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Il semble que ces propriétés rentrent dans la famille via le mariage du frère d’Edmond Alexandre, Sébastien Philippe Victor Archdeacon (1830-1900), avec Eugénie Gaillard, dont le père, François Gaillard, ancien juge au Tribunal de commerce, possédait depuis les années 1840 (sinon même avant) plusieurs terrains dans l’espace compris entre les rues des Martyrs, Neuve-Bréda et Laferrière.

François Gaillard était lui-même domicilié au 27, rue des Martyrs.

Parcelles possédées par François Gaillard vers 1848.
Parcelles possédées par François Gaillard vers 1848. Source : BhVP.

Divers rachats et/ou échanges de parcelles avec des propriétaires voisins ont dû permettre la constitution de l’ensemble évoqué ci-après.

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À la naissance de sa fille Françoise Louise (1854-1915), future Louise de Kergariou, Sébastien Philippe Victor Archdeacon, le frère donc d’Edmond Alexandre, avait pour adresse le 27 rue des Martyrs, dans le même ensemble de propriétés. Il est encore répertorié au 6 passage Laferrière dans l’édition du Firmin-Didot de 1870 mais ne l’est plus dans celle de 1871. Il réapparaît dans l’édition de 1873 à l’adresse de feu son père au 8, rue Anjou-Saint-Honoré, cohabitant avec sa mère. Plus tard encore, dans l’édition de 1885, il est établi au 36, rue des Écuries d’Artois.

En revanche, son beau-père, François Gaillard, semble être resté sur place. Il figure encore passage Laferrière dans l’édition de 1873. De même pour l’oncle Paul, répertorié au 29 rue des Martyrs.

De manière générale, il est assez intéressant de repérer les mentions des Archdeacon dans les annuaires et les actes d’état-civil au fil des années : on y observe des changements, des regroupements et des partages d’adresses qui soulignent une grande proximité entre les membres de la famille. On note en particulier une belle concentration de domiciles situés entre le Triangle d’or et le faubourd Saint-Honoré.

Un beau cas d’espèce pour Pinçon et Pinçon-Charlot…

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Cf. Gallica : Catalogue des objets d’art et de riche ameublement, époques Louis XV et Louis XVI..., mobilier remarquable en bois sculpté..., très belles tentures et étoffes... le tout appartenant à Mme la baronne de Christensen... [Texte imprimé] / [expert] A. Bloche. Vente exécutée sur place les 7, 8 et 9 décembre 1893.

En dernière page de présentation du catalogue, on trouve cette mention : « Nota. — L’hôtel est à louer. »

L’annuaire Paris-Adresses, dans son édition de 1893, répertorie toutefois toujours Paul Gaillard, propriétaire, à cette même adresse du 6 bis rue Laferrière. Sans doute la famille s’était-elle réservée l’un des immeubles édifiés à côté de l’hôtel sur cette grande parcelle.

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Cette dernière suggestion est une pure construction intellectuelle de ma part.

Je l’appuie sur un nombre non négligeable de photographies que j’attribue à Cañellas qui sont des portraits en pied de jeunes femmes dans des poses nettement plus suggestives que celles des nus « ordinaires » et dont l’accumulation fait clairement penser à un projet du type évoqué.

On sait par ailleurs que la réalisation de tels catalogues de pensionnaires semble avoir été, sinon courante, du moins commune. Les portraits pouvaient être accompagnés de commentaires sur les « offres de service » spécifiques de ces dames. On n’en conclura pas que ces dernières s’y livraient de manière heureuse et volontaire.

Pour les séries que j’ai identifiées, un même ensemble de décors est réutilisé d’un modèle à l’autre et l’on y distingue plusieurs accessoires figurant dans d’autres séries de nus de Cañellas (notamment celles du recueil de la BnF). En voici quelques exemples.

(La série complète peut être consultée ici. Je renvoie aux descriptifs qui accompagnent chaque photographie.)

Rue Laferrière ou rue des Martyrs, nous nous trouvons, ne l’oublions pas, au cœur du quartier de la rue Bréda, qui fut un des hauts lieux de la prostitution parisienne et le demeura jusqu’à une période assez récente.

Les immeubles des Archdeacon-Gaillard étaient en effet cernés de « maisons » — de tolérance ou de rendez-vous.

On se souviendra aussi que plusieurs « affaires » firent les choux gras de la presse de la Belle Époque, qui révélèrent que des propriétaires du grand monde mettaient en location — à l’insu de leur plein gré, évidemment — des immeubles entiers à des tenanciers de telles maisons (voir par exemple les références citées dans un rapport de commission extraparlementaire sur la Police des mœurs).

Loin de moi l’idée de suggérer que les Archdeacon-Gaillard aient pu se livrer à de telles opérations…

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À la date de parution de cet ouvrage — qui connut une diffusion très significative —, Cañellas est déjà décédé, mais son épouse et sa belle-sœur exploitaient encore les droits sur ses travaux (voir le billet sur Le mystère des sœurs Martin).

Il est aussi possible que Cañellas ait lui-même fait affaire avec l’éditeur avant son décès.

Couverture de l’ouvrage “Le Nu d’après nature”
“Le Nu d’après nature” (source eBay).
Cf. notice BnF.
JMC s/n (id.245)
JMC s/n (id. 245)

En 1905, la Librairie artistique déménagera rue de La Boëtie et prendra le nom de Nouvelle librairie artistique.

Vers 1900, le № 3 bis de la rue La Bruyère a servi de siège à toutes sortes d’établissements, depuis des libraires-éditeurs comme la Librairie artistique jusqu’à un consulat de l’État libre d’Orange, en passant par un « Institut scientifique et médical de France » et un organisme de crédit aux promesses un peu trop mirobolantes.

Pour un certain nombre d’entre eux, ces établissements avaient partie liée avec des officines installées au 17 rue Laferrière spécialisées dans la confection, la promotion et la diffusion de livres et de produits garantissant une vie sexuelle épanouie mais protégée des dangers inhérents aux rencontres multiples…

Je renvoie ici à l’ouvrage emblématique Amour et Sécurité du Docteur Brennus, véritable best-seller de la maison André Hal au tournant du siècle.

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Sur l’identification des séries de photographies chez Cañellas, voir le précédent billet À propos de la numérotation des photographies de Josep Maria Cañellas.

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Edmond Sébastien Archdeacon, pour nous en tenir à lui, fréquentait assidûment les champs de courses. Il semble même y avoir montré un caractère assez passionné. Il mourra des suites d’une attaque (une « congestion cérébrale » rapportent les journaux) contractée dans les tribunes de l’hippodrome d’Auteuil le dimanche 18 février 1906. Son cheval, à qui la victoire semblait promise dans une course, aurait été la victime d’un mauvais geste d’un concurrent. Cela le mit dans une noire fureur, ai-je lu. Son cœur n’y résista pas, semble-t-il.

Voir par exemple les comptes rendus de La Presse, de Gil Blas, du Mémorial des Vosges (21 févr. et 22 févr. 1906), du Journal du Midi, du Figaro, etc., — jusqu’au Stamboul, le quotidien francophone de Constantinople. Ou, plus sarcastique, celui de la Gazette de la capitale, qui égratigne quelque peu le personnage.

La liste des personnalités présentes aux obsèques (énumérée dans les comptes rendus cités) donne une bonne idée de l’entregent d’Edmond Sébastien. De même, les indications de Gil Blas sur ses gains aux courses confirment sa santé financière confortable.

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Je renvoie ici à un précédent billet de présentation du dernier studio de Cañellas situé avenue de Wagram (1897-1902) : Josep Maria Cañellas à la Salle Wagram.

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Cet album, aujourd’hui connu sous le nom d’Album Rubaudonadeu, enregistre plus de cinq cent cinquante photographies prises par Cañellas au cours d’une quinzaine d’expéditions menées en Alt Empordà à l’hiver 1888-1889 dans des conditions souvent éprouvantes. On trouvera un descriptif de ces pérégrinations dans le chapitre Els itineraris d’en Cañellas (hivern 1888-1889) publié par Joan Cos dans l’ouvrage collectif Àlbum 1888 i 2005 - Dues visions de l’Alt Empordà, s/l, 2006, Col·legi d’Arquitectes de Catalunya, Demarcació de Girona, Delegació Alt Empordà (ISBN 9788496185661).

L’album photographique complet est conservé à la Bibliothèque Fages de Climent de Figueres et peut être consulté en ligne sur l’entrepôt numérique Regira de Gérone.

La base de données Photographie des Artistes en recense un petit échantillon, qui correspond à celui retenu dans le catalogue de l’exposition de 2005.

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Mots-clés

Josep Maria Cañellas (1856-1902), Edmond Archdeacon, portrait, Paris, quartier Bréda-Martyrs, monde hippique, Josep Rubaudonadeu

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