La muse de la photographie (Josep Maria Cañellas & Daniel Hernández)
mar. 09 janvier 2024 13h01
Brève note motivée par un détail du dessin figurant au verso des cartons utilisés par Cañellas pour le support de ses tirages papier.
À l’arrivée dans son nouveau studio du 35 avenue de Wagram (fin 1897 ou début 1898), Cañellas fait confectionner de nouveaux cartons-supports pour les tirages remis à ses clients. Ces supports affichent son nom, son slogan « Photographie des Artistes », sa nouvelle adresse et les mérites du studio (« près l’Arc de Triomphe de l’Etoile », « Hôtel privé »…).
Plusieurs versions de la copie (texte et/ou typographie) sont attestées, notamment selon les formats retenus (cabinet ou carte de visite).
Toutes ces versions1 font apparaître, en contrepoint à la copie, un grand dessin, celui d’une jeune femme ailée, une étoile au front, courant ou dansant dans les airs, le bras gauche soutenant un appareil photographique et la main droite égrénant, à la façon de la Semeuse, des épreuves photographiques qui s’éparpillent autour d’elle. Elle est bien évidemment nue, les reins pudiquement voilés, et arbore – Belle Époque oblige – le sourire de la joie et de l’opulence. J’y vois la personnification de la Photographie — sa muse en somme, si tant est qu’on puisse grouper la photographie avec les arts libéraux ; peut-être serait-il plus prudent de parler d’allégorie ?
Ce joli dessin, très 1900, sera réutilisé dans les réclames que Cañellas fait insérer ici ou là, par exemple dans El Correo de Paris, la revue hebdomadaire des hispanophones de Paris.
Jusqu’ici, je n’avais pas prêté grande attention à ce dessin. Mais en le réexaminant dernièrement, j’ai remarqué la signature du dessinateur « D. H. » qui m’avait échappée auparavant.
Ces initiales m’ont fait penser au peintre péruvien Daniel Hernández (1856-1932).
Hernández et Cañellas devaient être assez proches, du temps que le peintre séjournait à Paris2 : Hernández fut en effet témoin au mariage de Cañellas avec Jeanne Martin à la Noël 1898. On apprend à cette occasion qu’il était domicilié au 235 du faubourg Saint-Honoré, soit à deux pas du studio de l’avenue de Wagram.
On sait que Hernández travailla beaucoup comme illustrateur (d’affiches ou d’œuvres littéraires) et qu’il était donc bon dessinateur. Ce fut par ailleurs un grand et prolifique portraitiste, particulièrement de femmes3. Il s’est gagné une solide réputation grâce à son tableau La Perezosa (La Paresseuse, 1899) dont il déclina plusieurs versions sur plusieurs années.
En étudiant la graphie des signatures des différents tableaux et dessins de Hernández, il semble raisonnable de penser que celle du dessin de la Muse de la Photographie est bien de sa main.
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Et puisqu’il est question de jeunes femmes alanguies et passablement dénudées, on peut aussi penser que Hernández et Cañellas partageaient certains centres d’intérêt.
Je me demande même s’ils n’en sont pas venus à se recommander l’un l’autre des modèles, le premier pour ses tableaux, le second pour ses photographies — et s’ils n’ont pas pu, au moins occasionnellement, s’influencer mutuellement. Je n’ai pu m’empêcher en effet de rapprocher, d’un côté, une scène orientalisante de Hernández, peinte à Rome en 1879, figurant une jeune femme allongée (et dénudée) jouant avec un oiseau de compagnie posé sur sa main et, de l’autre, quelques photographies de Cañellas montrant une femme allongée (et tout à fait nue) jouant elle aussi avec un oiseau (une mouette naturalisée, si je ne me trompe).
Inversement, comme il a pu le faire auprès d’autres artistes peintres ou sculpteurs, Cañellas a très bien pu alimenter Hernández en photographies d’après nature pour les besoins des compositions de son ami. Voire, prendre des photographies sur les indications de Hernández. Après tout, ils n’avaient l’un ou l’autre qu’une avenue à traverser pour se retrouver et échafauder quelque projet en commun.
Simples hypothèses, bien sûr. Mais, nous rappelle la Muse de la Photographie, Cañellas, en bon artisan de la « photographie des artistes », se devait de cultiver ses relations avec les dits artistes…
Notes
Le catalogue de l’exposition de Figueres reproduit (page de titre et p. 20) encore une autre version de ce verso des cartons, provenant du fonds de la BnF (références du catalogue dans la page de présentation de l’application). Sauf erreur de ma part, le rapprochement avec Hernández n’y est pas établi.
RetourDaniel Hernández, né la même année que Cañellas, s’est rendu en Europe assez jeune pour y parfaire sa formation de peintre. Il arrive une première fois à Paris en 1874, se rend presque aussitôt à Rome et revient à Paris en 1883. Il est élu président de la Société des Peintres espagnols à Paris et devient membre de la Société des Artistes français. Il expose régulièrement aux Salons et participe à l’Exposition universelle de 1900. Il reste en Europe et principalement en France jusqu’en 1918, avant de retourner au Pérou et y mener une belle carrière d’artiste académique officiel de la République péruvienne.
RetourUne page de Wikimedia Commons propose toute une série de reproductions des tableaux de Hernández. Les informations fournies ne sont cependant pas toujours fiables (les titres attribués sont parfois douteux et au moins un des tableaux reproduits n’est clairement pas de Hernández).
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Mots-clés
Josep Maria Cañellas (1856-1902), Daniel Hernández (1856-1932), dessin, réclame.
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