Un dimanche aux courses (Josep Maria Cañellas à Longchamp)
lun. 15 novembre 2021 13h50
C’est au hasard d’un vagabondage parmi les albums photographiques numérisés par la BnF que je suis tombé sur toute une série d’instantanés de Cañellas dont je n’avais pas connaissance et dont ne font pas état les sources d’information que j’ai pu consulter jusqu’ici1.
L’album en question, dont la couverture annonce sobrement « Paris. » (avec encore ce point final au titre qui le rattache à une vieille tradition typographique), est au reste un objet curieux, sur lequel la BnF fournit assez peu d’informations2. Sa notice précise toutefois :
Album vraisemblablement constitué en 1900 mais incluant des vues plus anciennes.
- Remploi d’un album de vues du sud de la France et d’Italie, dont 3 sont encore visibles (Monte Carlo par Giletta, Pompéi, Milan par Brogi), les autres étant recouvertes par les vues de Paris.
- La majorité de celles-ci sont de Neurdein (signatures "X" ou "ND") ; d’autres sont de Hautecœur (signature "Ed. H") et de Pamard ("L. P.").
L’album provient du fonds Georges Sirot et sa source première n’est pas forcément connue. De ce que j’ai constaté, la distribution des photographies n’y suit pas un plan particulier, ni par thème, ni par photographe, et j’ai eu plus l’impression d’un assemblage un peu hâtif ou improvisé de diverses vues de Paris (et de Versailles du reste) que d’une composition raisonnée. Par ailleurs, et c’est amusant, on y observe en effet à plusieurs endroits la superposition des clichés à d’autres antérieurs dont, pour certains, les légendes restent encore visibles. Est-ce Sirot lui-même qui est intervenu ? (On retrouve une étiquette à son nom au pied d’un cliché [folio 25].) À noter que les photographies qui devaient recouvrir celles de Monte Carlo et de Pompéi [folios 21 & 80] ont manifestement été décollées et distraites du lot.
La notice de la BnF identifie donc plusieurs photographes, mais ne cite pas Josep Maria Cañellas.
Or, cet album m’a justement intéressé par les six ou sept instantanés de Cañellas qu’on peut y repérer, ce qui fait de notre photographe un contributeur plutôt bien représenté. Ces clichés se ventilent en deux groupes, rassemblant, l’un, cinq vues de spectateurs de courses à Longchamp et, l’autre, deux vues d’enfants à Montmartre.
Les clichés apparaissent aux folios 19, 78 et 79. Voici des vues réduites de ces trois pages d’album numérisées.
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Longchamp. — J’envisage que les photographies du premier groupe, prises aux courses, l’aient toutes été à Longchamp en me fondant sur JMC 896 qui donne à voir le moulin de Longchamp, dont il existe de nombreuses vues, reproduites notamment en cartes postales quelques années plus tard.
En voici une, prise, elle, bien des années avant.
Mais on en trouve une autre également dans ce même album de la collection Sirot, au folio 72, prise depuis la cascade avec une belle perspective et qui permet de voir le lieu de la prise de vue de JMC 896.
Dans mon esprit, JMC 895 a très-vraisemblablement été prise le même jour que JMC 896, dans le même lieu entre le champ de course et le moulin, sans doute peu de temps auparavant (les ombres des personnes sont comparables).
Les trois autres photos prises au « parking » (je veux dire au milieu des voitures stationnant dans l’herbe) sont peut-être d’un autre jour. Les numéros 510 et 3100 laissent à penser qu’elles relèvent d’une autre série de prises de vue. La photographie au numéro illisible (mais on peut distinguer, malaisément, les initiales JMC légèrement à droite sous le marche-pied de la calèche) est peut-être à associer à JMC 510. Je dis ça en voyant dans les deux cas des femmes debout dans leurs calèches. Et qu’attendent-elles, en fait ? Serait-ce l’heure du départ et du retour à Paris ? Au vu de l’encombrement des voitures, on peut penser que les opérations prenaient un certain temps. Ça n’est pas sans m’évoquer nos embarquements et débarquements contemporains d’automobiles dans les ferry-boats. Ici, avec le facteur cheval en sus.
On connaît plusieurs autres photographies de Cañellas prises sur des sites de courses hippiques. Ainsi de JMC 517, que Fourquier situe également à Longchamp, dont on peut penser qu’elle relève de la même série que JMC 510. Ainsi également de JMC 893 qui fait certainement partie de la même série que JMC 895 et JMC 896 (on distingue à l’arrière-plan la silhouette du moulin et celle de la petite maison qui le jouxte). Ainsi aussi de JMC 664, mais dont le numéro ne permet pas un rapprochement immédiat avec les autres photographies que j’évoque ici (et les indices manquent pour permettre une localisation certaine). Il faut toutefois se souvenir que la numérotation des photographies de Cañellas ne suit pas toujours une progression régulière3.
Sur ce plan, le numéro 3100 de l’un des clichés de cet album de la collection Georges Sirot est un bel exemple d’irrégularité. C’est seulement le second exemple que je rencontre d’un tirage numéroté dans les 3000, après celui du petit garçon pissant dans son pot du musée Rodin et recensé dans le catalogue du musée de l’Empordà (JMC 3006). Y a-t-il une interprétation particulière à donner à ces « hors série » ? Peut-être. Peut-être pas. Pendant un moment, je me suis demandé s’il y avait quelque chose de particulier à observer dans le sujet de la photographie : par exemple, dans JMC 3100, aurions-nous affaire à des personnes que connaissait Cañellas ? Le monsieur sur la gauche, qui semble ajuster le manteau ou le boa de la femme devant lui, ne serait-il pas Rubaudonadeu, le mécène du reportage en Alt Empordà ? Supposition tout à fait gratuite, évidemment, mais il y a tout de même un petit air de ressemblance avec le portrait qu’en avait fait Cañellas… (Oui, je sais, tous les messieurs un peu importants de l’époque devaient ressembler à ça.)
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Montmartre. — Des deux autres photographies tirées de l’album Sirot, l’une (JMC 887) est signée de Cañellas et peut éventuellement être rapprochée de JMC 885 (même thématique sur les enfants). L’autre (les trois fillettes), non signée, est plus douteuse.
J’ai cherché à identifier le lieu de JMC 887 sans y parvenir encore.
En supposant que la photographie ait été prise le même jour et peu de temps après JMC 885 (prise, elle, boulevard de Clichy, dans l’après-midi, semble-t-il), j’ai envisagé qu’il puisse s’agir du terrain anciennement occupé par l’annexe nord du cimetière de Montmartre4. Mais je ne suis pas convaincu.
J’ai exclu le petit jardin de la place Vintimille : même en tenant compte de la longue focale de l’appareil utilisé par Cañellas, la distance aux immeubles à l’arrière-plan me paraît trop importante.
D’autres possibilités envisageables seraient le square Montholon, mais les décrochements d’immeubles qu’on distingue (péniblement) à l’arrière-plan sur la photographie ne semblent pas correspondre à ce que l’on peut observer sur les lieux, et le square des Batignolles, où ces décrochements pourraient peut-être correspondre à ceux des immeubles de la place des Batignolles (actuelle place Charles-Fillion).
Toutefois, dans les deux cas, je ne suis pas non plus convaincu, parce qu’on ne retrouve pas vraiment dans le décor de la photographie de Cañellas l’ordonnancement attendu de ces squares aux allées bien délimitées et aux parterres bien arrangés.
Mais il n’y a peut-être pas à rapprocher JMC 887 de JMC 885. Auquel cas, les recherches vont durer. (Évidemment, retrouver JMC 886 ou JMC 888 pourrait accélérer l’enquête.)
J’ai rajouté à la base de données la photographie des trois sœurs devant le moulin de la Galette (ici), mais je suis de moins en moins certain qu’elle soit de Cañellas. Mais je la garde, parce que je trouve les trois fillettes mignonnes dans leurs robes blanches estivales et parce qu’on y voit le moulin Radet, le vrai (quand le mécanisme était encore en place), avant son démontage (dans les années 1920) et sa réinstallation sous la forme qu’on lui connaît aujourd’hui5.
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Redécouvrir ensemble six photographies de Josep Maria Cañellas est un fait peu banal et d’autant plus bienvenu qu’on les découvre ici bien au chaud (et bien camouflées), dans le domaine public et à disposition de qui veut. J’en suis heureusement surpris, d’autant qu’il s’agit d’instantanés pris en ville (aux courses, pour la plupart) comme les affectionnait Fourquier, pièces plutôt rares dans la production de ce photographe. Voilà qui nous change un peu des photographies de nus qui, elles, font et refont surface régulièrement.
On peut donc espérer en découvrir d’autres encore. Anonymes, au sein d’autres albums à la BnF… Dépouillons ! Dépouillons !
Références
Illustration d’en-tête du billet : JMC 3100 (détail).
Les sept photographies de l’album de la collection Georges Sirot dont il est fait état ici y ont été répertoriées.
Notes
Ce sont celles que je cite au début de la présentation de l’application Photographie des Artistes.
RetourBibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, cote PETFOL-VE-1449. Cf. la notice de recueil du catalogue de la BnF. La version numérisée de l’album est consultable sur Gallica. On s’y reportera pour bénéficier de la version en haute définition des reproductions numériques.
RetourJe renvoie sur ce point aux quelques observations déjà formulées dans la présentation de l’application Photographie des Artistes.
RetourLe cimetière de Montmartre a disposé en effet pendant quelques temps d’une annexe, assez étendue (9 hectares, tout de même), correspondant au polygone des actuelles rues Etex et Barrière-blanche, Eugène-Carrière, Marcadet et Coysevox. Elle figure sur le plan Andriveau-Goujon de 1878. Cette annexe fut opérationnelle de 1847 à 1879. On peut consulter l’intéressant billet de post sur le sujet. Je n’ai pas le détail du lotissement de ce terrain, qui ne commence cependant pas avant 1890, ai-je lu. Les travaux de construction de l’hôpital Bretonneau, par exemple, ne démarrent pas avant 1898 ; la rue Lamarck fut prolongée à travers ce terrain à compter de 1893. On peut envisager que le terrain ait été laissé vague après le déplacement des sépultures (plutôt des fosses communes) de l’ancien cimetière, durant la fin des années 1880 et le début des années 1890, soit pendant la période de réalisation des instantanés de Cañellas. Mais il faudrait en apprendre un peu plus sur le sort de cette annexe du cimetière.
RetourOn trouve plein de choses en ligne sur les moulins de Montmartre et leur histoire compliquée, mais je n’ai pas encore mis la main sur quelque chose de vraiment solide. Sur le Radet et le Blute-fin (le moulin de la Galette), voir par exemple ce billet qui liste plusieurs reproductions (hélas non sourcées) des lieux.
RetourMots-clés
Josep Maria Cañellas, Cañellas , JMC, photographie, instantanés, courses hippiques, Longchamp, Montmartre, enfants.
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