Auriez-vous vu Josep Maria Cañellas ?
jeu. 16 juillet 2020 13h05
Dans un récent billet (ici), j’évoquais l’ombre de J. M. Cañellas qu’on pouvait peut-être deviner au bas du cliché JMC 596 pris à Paris. À vrai dire, je ne suis pas vraiment sûr qu’on ait là affaire à l’empreinte du photographe, mais il m’est resté comme une envie d’y croire.
Dernièrement, cette envie a trouvé à s’assouvir avec un autre cliché, dont l’interprétation me semble cette fois beaucoup moins incertaine.
La photographie en question provient de l’Album Rubaudonadeu1. Elle est référencée sous le numéro 250 et fait partie de la série prise à Llançà. Elle n’est pas signée des initiales JMC ni numérotée, mais peut-être que, justement, l’ombre de JMC suffisait.
Plus que l’ombre de Hans Beckert – le maudit M – ou celle de Harry Lime – le Troisième homme –, celle de ce cliché № 250 m’évoque irrésistiblement le noir et blanc du Manuscrit trouvé à Saragosse. Pour moi, il est clair que la caméra va lentement s’animer, élargir le plan puis pivoter. On découvrira alors la princesse Emina (ou était-ce Zibeddé ? ou peut-être Urraque de Gomelez, la future mariée de l’héritier des Worden ?) venant étancher la soif des seigneurs imprudemment engagés dans une contrée hostile…
Mais il est vrai que nous sommes en hiver en Catalogne et non pas sous le soleil ardent de la Sierra Morena.
Nous ne nous réveillerons pas sous le gibet.
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En parcourant un peu plus attentivement les photographies de l’album Rubaudonadeu, il me semble que cette apparition de l’ombre de Cañellas ne soit pas un cas isolé. Sauf méprise de ma part, on la retrouve sur plusieurs autres clichés, et par exemple dans les suivants :
Et, tant qu’à fouiller, d’autres détails ne manquent pas de surgir.
Dans la même veine, je me demande si les charrettes qu’on aperçoit à plusieurs reprises – p. ex. celles-ci :
– ne seraient pas celles que Cañellas devait retenir pour ses déplacements dans les villages de l’arrière-pays. Je l’imagine volontiers ainsi, assis à côté de son cocher avec son matériel entassé à l’arrière (les plaques de verre devaient souffrir), observant les choses et les gens.
Régulièrement, il devait dire au cocher « Tiens, arrête-toi ! Je vais faire une photo, là. » Parfois même, il pouvait lui dire « Pepinò, reste dans la charrette, je vais te mettre dans la photo. Je vais vous rendre immortels, toi et ton cheval. Vous serez connus jusqu’à Paris… »
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Mais ce n’est pas tout. Il y a plus que des ombres et des charrettes.
Et, d’abord, ce melon, déposé négligemment sur un petit monticule au bord du chemin.
Que fait-il là, ce melon ? Sinon signaler l’homme.
Ainsi du cliché № 243. Ne serait-ce pas justement notre homme qui pose, nonchalamment, au pied de la croix ? Un vrai Parisien à la campagne, le melon rejeté en arrière ! J’ai du mal à croire qu’un local se serait tenu de la sorte.
Et alors, on se souvient de plusieurs autres silhouettes entr’aperçues dans les photos de l’album. Et on se dit qu’il y a peut-être là comme une mise en scène du photographe par lui-même. Quelques indices inscrits volontairement dans la pellicule. Le melon, le foulard, la casquette, le pantalon rayé, la canne.
Ainsi donc, de découverte en découverte, nous lâcherions l’ombre pour la proie ! Moi qui pensais que nous ne saurions jamais rien de l’aspect de l’homme Cañellas…
Certes, mais — avons-nous bien affaire à Josep Maria Cañellas ?
J’aurais évidemment aimé pouvoir répondre oui, mais l’affaire n’est pas aussi simple. L’ombre semble claire, si j’ose dire, de même que la charrette. Pour ce qui est des personnes qui posent à l’occasion – et qui ne sont manifestement pas des locaux (je le tiens d’une naïve intuition) –, l’affaire se complique. À bien y regarder, il y a là, dans ces images, plusieurs personnes distinctes. Disons, au moins deux. L’une d’entre elles est peut-être Josep Maria Cañellas (mais est-ce l’homme barbu à chapeau melon ou l’homme glabre à casquette ?). Et qui serait l’autre ?
Je crois que le melon abandonné sur le bord du chemin (cliché № 22) est une des clefs de l’énigme.
Notes & références
L’Album Rubaudonadeu est cette singulière collection de 555 photographies prises par Cañellas au cours de l’hiver 1888-1889 dans la région de l’Alt Empordà (au nord-est de la Catalogne espagnole) en réponse à une commande du mécène Josep Rubaudonadeu (Figueres 1841 - Madrid 1916) qui voulait « photographier » sa région natale. C’est un document exceptionnel sur les gens et les lieux, la vie ordinaire et ses occupations, les travaux, les marchés, les fêtes… Cañellas y démontre une très grande sûreté de regard et une capacité à saisir la simplicité des gestes (les femmes lavant le linge dans la rivière pendant que les hommes sont accoudés à la rambarde du pont au-dessus d’elles).
À plusieurs reprises, on peut rapprocher ces clichés catalans des instantanés pris dans les rues à Paris à la même époque.
Je ne peux que recommander de parcourir cet album, qui a été intégralement numérisé et qu’on peut consulter soit sur le site de la Bibliothèque Fages de Climent de Figueres soit sur l’entrepôt Regira du district de Gérone (où les photographies sont présentées en grand format).
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Mots-clés
Josep Maria Cañellas, photographies, 1885-1902, ombres, charrettes, melon.
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